mardi 17 juin 2014
La médiatisation des métiers de la restauration génère une hausse des vocations. Dans ce nouveau contexte, il est difficile pour les établissements d’enseignement hôtelier de distinguer les postulants motivés des simples suiveurs.
Agnès Vaffier, proviseur du lycée des métiers de l’hôtellerie et du tourisme de Marseille : ‘Je ne connais pas d’établissements d’enseignement hôtelier en France où le taux de pression est égal à zéro, même pour les formations en salle, qui sont moins demandées.’
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Dans son dernier palmarès des meilleurs lycées de la capitale, le quotidienLe Parisien classait le lycée hôtelier Jean Drouant à la 11e place sur 111 (74e sur 457 au niveau de la région Île-de-France). L’école de la rue Médéric (XVIIe) apparaît aussi dans le classement des établissements les plus demandés de Paris, une place derrière le lycée Montaigne ! C’est dire l’engouement que connaît l’enseignement hôtelier, à Paris comme ailleurs.Agnès Vaffier, proviseur du lycée des métiers de l’hôtellerie et du tourisme de Marseille, interprète ces chiffres comme la conséquence de l’avènement des programmes culinaires à la télévision. Le lycée de la cité phocéenne est à ce titre un formidable observatoire puisque son proviseur dirige depuis treize ans l’Association française des lycées d’hôtellerie et de tourisme (Aflyht), qui fédère 248 établissements publics et privés sous contrat, ce qui correspond à 94 % des élèves formés dans la profession. En outre, le lycée de Marseille dispense tous les niveaux de formation du CAP au BTS que ce soit dans la filière professionnelle comme technologique.
Des taux de pression en hausse
Le taux de pression (TP) correspond au nombre d’élèves qui postulent pour entrer dans un établissement rapporté au nombre de places disponibles. « Je ne connais pas d’établissements d’enseignement hôtelier en France où le taux de pression est égal à zéro, même pour les formations en salle, qui sont moins demandées », s’enthousiasme Agnès Vaffier, qui exclut de ses analyses les lycées privés. À Marseille, à titre d’exemple, on relève 120 candidatures pour 12 places en CAP cuisine soit un TP de 10, un taux de 4 en CAP service en salle, 5 en bac professionnel service et 14 en bac pro cuisine, soit 280 candidats pour 24 places. Mais c’est après le baccalauréat, en mise à niveau (MAN) – la passerelle qui permet aux titulaires de bac généraux de rejoindre la filière technologique – que la sélection se révèle la plus rude. « Les taux de pression en MAN se rapprochent de ceux des classes préparatoires aux grandes écoles », affirme Christian Badinand, le proviseur du lycée Jean Drouant. « Si les candidatures sont nombreuses pour intégrer les MAN, on note une désaffection de la filière technologique au niveau de la seconde au point de remettre en cause son existence, constate Agnès Vaffier. Les parents disent à leurs enfants : ‘Passe ton bac d’abord et fais une spécialisation en hôtellerie ensuite’. C’est dans la filière cuisine que ça bouchonne, au détriment des métiers de la salle. Et si tous les niveaux d’étude sont engorgés, c’est en CAP que les décrocheurs sont les plus nombreux. Ils sont moins scolaires, moins motivés, moins aptes à supporter la discipline. mais les abandons ne dépassent pas deux ou trois élèves par classe.«
Miser sur les réseaux
L’afflux de candidatures s’exprime de manière différente selon les écoles, sans que la qualité de l’enseignement puisse être mise en cause. « L’école hôtelière de Saint-Chamond dispense un enseignement aussi bon que le nôtre mais sa localisation est moins stratégique que Marseille. Les postulants orientent aussi leur choix vers des établissements anciens. Ceux de Nice et Thonon-les-Bains sont centenaires et sont parmi les plus demandés ! Les grands noms de la restauration actuels ont été formés dans ces écoles qui ont plus de cinquante ans. Si les taux de pression explosent à Jean Drouant, Lesdiguières [Grenoble] ou Thonon, c’est aussi en raison de la qualité du réseau des anciens élèves, toujours plus prompts à donner, une fois en poste, une chance à un candidat issu des mêmes bancs », note Agnès Vaffier.
Depuis une quinzaine d’années, les entretiens de sélection sont interdits, sans doute pour une plus grande équité de traitement. Ils perdurent pourtant dans certaines académies sous la dénomination d’entretiens de motivation. Ces derniers ont pour objet d’alerter les élèves sélectionnés par l’ordinateur de l’Éducation nationale sur la réalité de ce qui les attend. Une manière de faire renoncer les suiveurs. Mais désormais, c’est de façon informatisée que sont choisis les élèves, en fonction de leurs résultats scolaires et de bonus (sociaux ou de mérite par exemple) grâce au système Affelnet après la 3e et APB (affectation post-bac) après le baccalauréat. « On pourrait croire que plus le taux de pression est élevé, plus le profil des candidats sera bon mais ce n’est pas toujours exact, car la machine ne tient pas compte de la motivation, un élément clé de réussite dans ces métiers. Alors, avec l’Éducation nationale et les syndicats professionnels, nous menons une réflexion pour que la motivation des candidats soit mieux prise en compte dans les bonus. Ainsi, à Marseille, nous avons mis en place un ‘pass restauration’ qui permet à un jeune d’accumuler des points s’il a démontré son envie en participant à des journées portes ouvertes, des mini-stages, des rencontres avec des professionnels… », précise Agnès Vaffier qui estime les outils informatiques (Affelnet et APB) globalement satisfaisants même si un fils de grand chef à l’avenir prometteur peut se voir refuser l’accès à une école hôtelière parce qu’il a de mauvaises notes en mathématiques.
Dans une période économiquement tendue où les métiers de l’hôtellerie ont valeur de refuge face à l’explosion du chômage, ceux qui ont des relations pourraient avoir des raisons de les faire valoir. Malheureusement pour eux, l’ordinateur a dépossédé le chef d’établissement de tout interventionnisme dans l’attribution des places. « J’ai sur mon bureau une lettre du maire qui me demande de prêter une attention toute particulière à une candidature. Je lui ai fait savoir que j’étais très touché par son intérêt pour notre établissement mais que les procédures d’affectation ne dépendaient plus du proviseur, explique, sous couvert de l’anonymat, le proviseur d’un établissement hôtelier situé dans une grande agglomération. Nous disposons toujours d’un levier d’intervention : la liste d’attente. Nous pouvons faire remonter une candidature mais le postulant devra rentrer dans les cases de la machine. »
Francois Pont
Avec l’amicale autorisation du journal de l’Hôtellerie |