Délais de vente qui s’allongent, ventes qui n’aboutissent pas… La cession d’un fonds de commerce dans l’hôtellerie peut s’avérer un parcours du combattant. Comment expliquer cette tendance de fond ? Quels établissements sont les plus concernés ? Comment y remédier ? L’Hôtellerie Restauration a mené l’enquête.
Depuis trois ans, Michael Beltrami, à la tête du Logis hôtel Les Voyageurs (La Coquille, Dordogne), ne trouve pas de repreneur pour son hôtel-restaurant 3 étoiles de 13 chambres. “C’est un ancien relais de poste dans le Périgord vert, sur l’axe Limoges-Périgueux. Tout est aux normes, on a rénové dans un esprit cosy chic, on fait d’excellents chiffres d’affaires. Et pourtant, on n’a eu que deux visites, alors que je vends pratiquement au même prix que quand je l’ai acheté il y a près de vingt ans”, s’étonne-t-il. Son analyse : “Il y a beaucoup d’hôtels restaurants à vendre, et peu de demandes. Les acquéreurs veulent des moutons à cinq pattes, ou ils ne voudraient travailler que six mois par an… La partie restauration fait aussi peut-être peur ?”
Des délais de vente qui s’allongent
L’histoire de Michael Beltrami est loin d’être un cas isolé. “Je connais des hôteliers qui vivent dans leur établissement, faute de repreneurs », glisse-t-il. “Il y a aujourd’hui des hôtels murés à la sortie des villages. Parfois, les hôteliers finissent par vendre les murs et font un vide-hôtel. Je n’avais jamais vu ça avant”, observe Adeline Desthuiliers, agent immobilier spécialisé en hôtellerie. Jean-Christophe Brun, du département Entreprise et Commerce chez Century 21 France, confirme le phénomène : “Selon Altares, le volume est de 550 cessions de fonds de commerce en hébergement en 2023. On est autour de 510-515 000 € pour le prix moyen des cessions, un chiffre en hausse de 20 % entre 2022 et 2023. Mais le nombre de cessions a diminué de l’ordre de 10 %. Je dirais que cette difficulté à vendre est une tendance de fond, depuis une bonne quinzaine d’années. On est désormais sur des durées longues, entre 24 et 36 mois, pour vendre son fonds de commerce.”
Les petits établissements sont les plus impactés
Cet état des lieux se vérifie partout en France. “Ce n’est pas un sujet urbain ou rural, c’est une problématique plus globale qui concerne tout particulièrement les hôtels de moins de 40 chambres”, note Karim Soleilhavoup, directeur général du groupe Logis hôtels. “Au-dessus de 40 chambres, on s’adresse généralement à des chaînes hôtelières, à des investisseurs. En-dessous de 40 chambres, on a très souvent des exploitants. Or, on a du mal à trouver des acquéreurs pour reprendre ce type d’établissements”, enchérit Jean-Christophe Brun. Les acquéreurs n’ont pas toujours la capacité financière nécessaire, d’autant que les banques se montrent de plus en plus exigeantes. “Une banque va financer selon le triptyque : le profil de l’acquéreur – si celui-ci n’a pas les compétences ou l’expérience pour gérer l’établissement, la banque ne lui prêtera pas -, l’apport, le bilan et la rentabilité du fonds de commerce ciblé, il sera d’ailleurs impératif de calculer un EBE retraité”, résume l’expert de Century 21.
Par ailleurs, “les petits établissements hors périmètre urbain ont souvent du mal à être rentables, car les attentes des clients ont changé. Il y a trente ans, il y avait beaucoup plus de VRP que maintenant. Les habitudes de consommation ont changé, il y a beaucoup d’exigences réglementaires : cela peut rendre ces établissements obsolescents ou nécessiter un investissement important qui n’est pas rentable”, poursuit-il. Autre facteur, plus générationnel cette fois-ci : “Dans ce type d’établissement, l’exploitant ne compte pas ses heures. Les nouvelles générations ne sont pas prêtes à cet investissement en termes de temps, elles privilégient leur liberté”, remarque Adeline Desthuiliers.
Les hôtels-bureaux plus bankables
“La restauration peut être un repoussoir. La gestion d’un restaurant est plus complexe et s’adresse à des acquéreurs aguerris. En revanche, la partie hôtelière est plus rentable que le restaurant, car les coûts d’exploitation sont plus faibles”, estime Jean-Christophe Brun. Face à “des acquéreurs de plus en plus éclairés”, selon Karim Soleilhavoup, les hôtels-bureaux se vendent donc généralement plus facilement.
Attention à la surévaluation
Mais encore faut-il que le bien ait été correctement estimé. “Quand les exploitants ont passé trente ans de leur vie dans leur établissement, ils ont tendance à surestimer leur bien. Quand il y a ce gap entre la valeur estimée par les propriétaires et le prix du marché, ça peut se vendre en deux ou trois ans, ou pas du tout”, note Jean-Christophe Brun.
Anticiper la vente, sans la dissimuler
Pour mettre toutes les chances de son côté, le vendeur doit anticiper la cession de son fonds de commerce et confier son bien à une ou deux agences spécialisées dans les fonds de commerce hôteliers. “J’ai déjà vu des agents qui faisaient leur évaluation en se basant juste sur les mètres carrés !”, déclare, surprise, Adeline Desthuiliers. Dernière astuce : “Mieux vaut dire que l’on vend plutôt que le cacher, considère Karim Soleilhavoup. Il se peut qu’un salarié soit intéressé, via un process de crédit-vendeur, ou qu’un hôtel-restaurant de proximité le soit. L’enjeu pour la survie de ces petits établissements, c’est justement d’en posséder plusieurs.”
eurs conseils pour vendre
► Thierry Pépin : un chiffre d’affaires en hausse et un prix de vente raisonnable
Le Logis Hôtel La Bastide (Entraigues-sur-la-Sorgue) sera cédé en décembre 2024 à d’anciens hôteliers, quinze mois après sa mise en vente en agence spécialisée. L’hôtel pension de 20 chambres, qui accueille 80 % de clients d’affaires et 20 % de touristes, est “bien entretenu et très bien situé, à 5 km de la sortie d’autoroute et sur l’axe Avignon-Carpentras”. “En six ans, le chiffre d’affaires a augmenté de 20 %. On est passé en 3 étoiles, ce qui nous référence différemment et nous amène plus de clients. On joue les volumes avec un rapport qualité-prix justifié, à partir de 84 € la chambre double en période creuse, et la soirée étape affaire pour 94 €. Je n’ai pas voulu bannir la restauration, on est dans une ville-dortoir d’Avignon et il faut être multicartes : aujourd’hui, le client veut tout, à un prix raisonnable”, note le propriétaire, Thierry Pépin. Enfin, selon lui, “le prix de vente doit faire une fois ou 1,2 fois le chiffre d’affaires, pas plus, vu le contexte économique et géopolitique”.
► Georges André Piat : un crédit-vendeur à la clé
Après trente ans aux manettes de l’Hôtel Urban style de l’Europe à Rouen – un 3 étoiles de 24 chambres -, Georges André Piat a mis en vente les parts sociales de son établissement en juin 2023 (“un système plus avantageux fiscalement dans mon cas”). Pour faciliter cette cession qui aura lieu un an plus tard, l’hôtelier a mis en place un crédit vendeur, à hauteur de 30 % du montant total du prix de vente. “On a prêté une partie aux acquéreurs, mais il ne faut pas avoir besoin de réinvestir. Si on a un outil de travail fiable, c’est une sacrée garantie qu’on apporte aux banques qui prêtent difficilement. Cela passe par un acte notarié, et on peut mettre des garanties en place”, précise-t-il. Côté RH, l’hôtelier qui travaillait avec son épouse et comptait 5 salariés, a recruté un nouvel employé pour le remplacer et “que l’équipe soit solide”. “L’hôtel doit être nickel du sol au plafond. Contrôles d’hygiène, renouvellement de bail, normes de sécurité… Tout doit être anticipé, pour éviter les échéances courtes au futur acquéreur. Il faut être très professionnel, cela évite la négociation”, conclut-il.
► Christophe Vif a supprimé l’activité traiteur
Depuis 1990, Christophe Vif et son épouse dirigent le Logis Hôtels de Paris à Jaligny-sur-Besbre (Allier). L’auberge de village, qui comporte six chambres, un restaurant gastronomique, une brasserie et une activité traiteur, est bien située, “à quinze minutes du parc animalier Le Pâl, qui attire plus de 700 000 touristes l’été, et à 30 km de Vichy, classée au patrimoine mondial de l’Unesco”. Il y a dix ans, le couple met en vente son établissement. En vain… Suivant l’avis du conseiller régional Logis Hôtels, les Vif réajustent donc leur offre. En 2021, ils suppriment l’activité traiteur, “pour que ça corresponde à ce que voulaient les équipes et un éventuel acquéreur” : “Cela a fait baisser le prix de vente de près de 30 %”, note Christophe Vif. En parallèle, l’établissement a été rénové entièrement pour monter en gamme et s’afficher comme “un vrai 3 étoiles”. Depuis, l’établissement, qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires en restauration et 30 % en hôtellerie, affiche “pratiquement complet tous les jours”. L’établissement, repris par un jeune couple de professionnels, changera de mains début 2025. “Au-delà de l’établissement, les acquéreurs ont dû être séduits par l’appartement sur place, le village qui compte des écoles et un collège, et la fibre. C’est important dans le milieu rural”, observe l’hôtelier.
Avec l’amicale autorisation du Journal de l’Hôtellerie